samedi 2 avril 2016

Rural Noir de Benoît Minville


Présentation (éditeur)
Ados, Romain, Vlad, Julie et Christophe étaient inséparables, ils foulaient leur cambrousse dans l'insouciance. 
Tout a changé cet été-là. Un drame, la fin de l'innocence. 
Après dix ans d'absence, Romain revient dans sa Nièvre désertée, chamboulée par la crise, et découvre les différents chemins empruntés par ses amis. 
Oscillant entre souvenirs de jeunesse tendres ou douloureux et plongée nerveuse dans une réalité sombre, Rural noir est la peinture d'une certaine campagne française. Un roman noir à la fois cruel et violent, mais aussi tendre et lumineux ; évoquant la culpabilité, l'amitié et la famille. 
Dans la tradition du country noir américain, territoirs ruraux et laissés-pour-compte côtoient ceux dont on parle peu au milieu d'une nature «préservée» – ou en friche.

Ce que j’en pense
J’ai lu Rural Noir en une journée. Est-ce selon moi un polar exceptionnel? Non. Est-ce un très bon polar? Oui. 
C’est du noir pétri d’humanité, qui vous emporte pour ne plus vous lâcher avant la dernière page. La construction et les thématiques sont plutôt classiques (et ceci n’est pas une insulte). Le lecteur suit deux époques de la vie des personnages. Leur adolescence, les étés entre copains à la campagne, l’amitié qui soude le « gang »: il faut le reconnaître, Benoît Minville s’y entend pour restituer l’atmosphère des étés passés à courir la campagne, à écouter de la musique. Je ne vous cacherai pas que cette lecture a fait remonter de sacrés souvenirs de mon adolescence (rurale), de mon « gang » à moi. Je considère que c’est l’une des grandes réussites de l’écriture de Minville: faire ressentir la chaleur des étés, les éclaboussures des baignades, la force de ces amitiés indéfectibles. Au passage, je pense que le fait d’avoir écrit auparavant pour un public adolescent explique en partie cette réussite: Benoît Minville sait brosser des portraits d’ados, il sait les faire vivre pour les lecteurs. 
Et puis il y a l’autre époque, celle de l’âge adulte, avec le retour du frère qui a un beau jour tout plaqué, qui est parti sans explication, en fuyant cette campagne, ces amis, ces secrets. Les deux époques alternent tout en s’imbriquant parfaitement, dans un double crescendo vers la tragédie. Dans le passé, nous avançons avec crainte vers l’évènement qui a tout fait basculer, et dans le présent nous redoutons le retour de la tragédie. Le final est à la hauteur de nos attentes. 
Benoît Minville a un don de portraitiste extraordinaire: outre ses adolescents, il fait exister en quelques phrases ces trognes de la campagne, ces équivalents bien de chez nous des rednecks du roman américain, et c’est une communauté qui revit sous nos yeux, avec ses weirdos, ses marginaux, ses brutes et ses gens bien. Et mine de rien, sans pesanteur mais sans détour, Benoît Minville tisse un roman social, celui des campagnes abandonnées de tous, où les mauvais garçons se retrouvent en position de sauveurs. C’est un monde rural à la dérive que peint l’auteur, et il n’y a sous son regard aucune complaisance pseudo-identitaire: il n’évoque pas une campagne idéalisée mais un monde déjà perdu, sacrifiée comme le reste au libéralisme. Ce n’est pas la campagne contre la ville, c’est la campagne comme la ville, sinistrée, dont les plus pauvres sont laissés à l’abandon. Pas de nostalgie stupide, juste un constat amer. Pas de héros, juste des hommes et des femmes qui font ce qu’ils peuvent. Pas de manichéisme, personne n’est totalement innocent et personne n’est entièrement mauvais. 
Alors non, Rural Noir ne m’a pas secouée comme d’autres polars récemment (Sagittarius ou Exil), ni par sa forme ni par son propos, mais il m’a ramenée à moi-même, m’offrant par procuration des bouts de mon adolescence, et il m’a parlé d’humanité. C’est déjà énorme. 


Benoît Minville, Rural Noir, Gallimard/Série Noire, 2016. Disponible en ebook.

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