dimanche 25 janvier 2015

Les étrangers sont nuls de Pierre Desproges, avec des illustrations d'Edika


Présentation
En 1980 et 1981, Pierre Desproges publie dans Charlie Hebdo une chronique, "Les étrangers sont nuls", dans laquelle il égratigne de nombreux pays, dans un mélange d'absurde et de satire bien sentie. Le recueil qui en a été tiré se clôt par "Les Français sont nuls", évidemment.

Ce que j'en pense
Enfant, je me souviens de La Minute de Monsieur Cyclopède, et je me souviens surtout que je n’y comprenais rien. Adolescente, en revanche, j’ai biberonné à l’humour de Pierre Desproges, dont je retiens deux choses qui le distinguent de beaucoup de ses confrères: le caractère extrêmement écrit et littéraire ; l’humour noir qui n’épargne personne. Lorsque je revois Desproges dans des apparitions à la télévision ou sur scène, je suis toujours stupéfaite par la puissance de son humour.  Je suis également persuadée qu’en ces temps où l’on ne peut se moquer de personne sans s’exposer au mieux à un procès, au pire à la mort, Desproges ne pourrait plus exercer son métier. 
J’ai donc relu Les étrangers sont nuls, ensemble de chroniques parues dans le premier Charlie Hebdo, et j’ai hurlé de rire, bluffée comme si je le découvrais par son humour, son talent d’écriture, sa manière d’asséner quelques bonnes gifles… 
C’est drôle, jamais gratuit, toujours ébouriffant, superbement écrit. Aujourd’hui chaque pays irait de sa petite protestation diplomatique, et ce n’est pas la récente réaction chinoise à la une de Fluide Glacial qui me fera penser le contraire. Je ne voudrais pas verser dans le « c’était mieux avant », mais franchement, nous vivons une drôle d’époque. En tout cas, je vais continuer à relire et à revoir Pierre Desproges, pour moi le plus grand, le meilleur humoriste de tous les temps, et je pèse mes mots. En tout cas, c’est mon préféré, et de très loin. 
L’édition référencée ci-dessous n’est pas la mienne (et donc pas celle dont vous voyez la couverture ci-dessus), mais celle que l’on trouve actuellement, toujours illustrée par Edika, évidemment!

Pour le plaisir, la dernière chronique, « Les Français », qui a aujourd'hui une résonance particulière. Il va de soi que je retirerai ce texte si l’éditeur ou les ayant droits de Pierre Desproges me le demandent.

"Le Français qui grattouille dans France-Soir-Figaro est nul.
Il a vu l'émission bruyante et pathétique que Polac a consacrée à la mort d'un hebdomadaire irrévérencieux.
Le journaliste de France-Soir-Figaro a trouvé cette émission ignoble, et répugnante, et odieuse, et son âme distinguée de chroniqueur des fœtus de Denise Fabre et des aventures du papa d'Iglesias s'est soulevée d'horreur en entendant des gros mots dans SA télé de SON salon pompeux. Et les poils de sa moquette ont frémi d'indignation sous cette avalanche de vulgarité, tellement inattendue à l'heure des Carpentier.

Le Français qui grattouille dans France-Soir-Figaro, le même qui fait sa « Une » du week-end sur les faux anus papaux, les courses de nains sur canassons ou Saint-Étienne-Moncuq, en accordant trois lignes par an aux enfants du monde qui crèvent de nos excès de foie gras, ce Français-là et ceux qui le lisent réservent les mots d'ignoble, d'odieux, de salace et d'immonde aux colères télévisuelles éthylico-suicidaires des gens qui ont inventé le seul nouveau journal en France depuis je suis partout. Le seul journal de France qui ne ressemble pas à France-Soir-Figaro.
Oui, le seul. Et ce n'est pas par hasard si ceux qui l'ont créé étaient aux premières loges pour participer à la seule émission de télé nouvelle en France depuis Louis-Philippe.

Les Français sont nuls. Pas tous. Pas mon crémier, qui veut voir la finale Le Pen-Marchais arbitrée par Polac à la salle Wagram, mais les Français coincés chafouins qui s'indignent parce qu'on a dit prout-prout-salope dans leur télé. Changez de chaîne, connards, c'est fait pour ça, les boutons. Quand vous voyez trois loubards tabasser une vieille à Strasbourg-Saint-Denis, vous regardez ailleurs. Eh bien, faites pareil quand il se passe vraiment quelque chose dans votre téléviseur. Regardez ailleurs. Regardez « Le grand échiquier ». C'est une émission où tout le monde s'aime, et Jean-Louis Barrault (qui fait très bien le cheval) congratule Jean Marais, qui l'embrasse, et qui congratule Silvia Monfort (qui fait très bien le cheval) et qui congratule Georges Descrières qui raconte quand Jouvet lui tirait l'oreille en disant : « Petit, tu iras loin. »

Ça va mal. Les Russes arrivent et je n'ai rien à me mettre, et Cavanna pointe à l'ANPE. C'est la fin du monde."


Pierre Desproges (auteur), Edika (illustrateur), Les étrangers sont nuls, Seuil, coll. Points, 2014.





Aucun commentaire: