lundi 30 juin 2014

L'Emprise de Marc Dugain


Présentation (éditeur)
Un favori à l'élection présidentielle, le président d'un groupe militaro-industriel, un directeur du renseignement intérieur, un syndicaliste disparu après le meurtre de sa famille, une photographe chinoise en vogue... Qu'est-ce qui peut les relier ? Lorraine, agent des services secrets, est chargée de faire le lien. De Paris, en passant par la Bretagne et l'Irlande, pourra-t-elle y parvenir ? Rien n'est moins certain. Neuf ans après La malédiction d'Edgar, Marc Dugain nous offre une plongée romanesque sans concession au coeur du système français où se mêlent politiques, industriels et espions.

Ce que j’en pense
De Marc Dugain j’avais beaucoup aimé, l’an dernier (date de ma lecture, pas de la publication), La Malédiction d’Edgar, et par conséquent, j’ai eu envie de lire L’Emprise. Il faut dire que le sujet était pour moi un beau sujet de roman noir, je me suis donc laissée embarquer sans réserve. Le roman m’a plu, mais j’ai été un peu déçue par le final, ou plutôt j’ai trouvé la fin rapide et pas tout à fait satisfaisante: précisément, un auteur de roman noir serait, me semble-t-il, allé plus loin encore dans le final atroce et sans retour. Mais que j’aie été déçue par le final ne signifie pas qu’il est mauvais. Je crois même que d’une certaine façon, il est plus réaliste, et comme la réalité, décevant, non spectaculaire… 
Si je devais émettre une autre réserve, ce serait la suivante: L’Emprise m’a séduite par sa manière d’aborder la vie politique actuelle, où l’intérêt de l’Etat et du peuple ne compte pas pour grand-chose face aux intérêts individuels de ceux qui « font » l’Etat, sans que l’on puisse parler uniquement de corruption. Marc Dugain est trop subtil pour simplement reprendre le refrain du « tous pourris », et si la corruption est de la partie - une certaine forme de corruption - elle n’est pas la seule donnée, les choses sont bien plus complexes. Bref, cela rencontre ma vision des choses. Et pourtant je ne pouvais m’empêcher de penser « so what? » Suffit-il qu’un roman rencontre ma vision du monde? Ne doit-il pas me bousculer, me décontenancer pour me faire réfléchir, pour enrichir ma vision des choses? Je dis ça, mais certains de mes romans noirs préférés rencontrent ma vision du monde et c’est pour cela que je les aime… Alors peut-être que le problème avec L’Emprise, c’est que, contrairement à ces romans noirs qui me chamboulent sans bouleverser ma vision du monde, je n’ai pas été touchée. 
Donc j’ai aime L’Emprise mais pas autant que j’aurais voulu. La Malédiction d’Edgar m’a donné le sentiment d’apprendre des choses, pour L’Emprise ce n’est pas le cas. N’allez pas croire cependant que je l’ai lu sans plaisir aucun, je n’ai eu aucun mal à aller au bout et jamais je n’ai songé arrêter ma lecture avant la fin. Il faut dire que les personnages existent rapidement et qu’ils sont très convaincants. La force de Marc Dugain est de ne jamais céder à la facilité, de ne pas tomber dans la caricature. Certains voient dans les personnages des réminiscences de certains de nos hommes politiques, et bien entendu, il y a des échos; mais Marc Dugain ne fait pas de roman à clé, et c’est bien pour ça que les personnages existent avec force en tant qu’êtres de fiction, avec une profondeur et une complexité que n’auraient pas des clones de nos hommes politiques.
Enfin, il y a la sobriété de l’écriture de Marc Dugain, efficace, qui cerne au plus juste les émotions, les réflexions. 
Au final, je n’ai donc pas été emballée comme je l’avais été avec La Malédiction d’Edgar, mais L’Emprise reste un roman hautement recommandable. 


Marc Dugain, L’Emprise, Gallimard, 2014. Disponible en ebook.

jeudi 19 juin 2014

Les âmes perdues de Dutch Island de John Connolly


Présentation (éditeur)
Depuis quelques années, Marianne vit seule avec son fils à Dutch Island, petite île pittoresque de l’Etat du Maine. Elle a choisi cet endroit isolé pour échapper à son mari, Moloch, un criminel particulièrement violent et dépravé qui la maintenait sous sa coupe. Aujourd’hui Moloch croupit en prison. Du fond de sa cellule, il fait des rêves étranges auxquels il se sent lié. Il y est question de piraterie, de massacres et de pillages. Une histoire qui ressemble étrangement à celle des premiers colons de Dutch Island, autrefois appelée Sanctuary. Cette histoire, Joe Dupree, l’unique policier local, en est le dépositaire. Apprécié de tous, Joe garde un statut particulier dans l’île. La faute à son regard, toujours triste, qui lui vaut le surnom de Mélancolie Joe, et à sa stature de géant. Ces derniers temps, il a senti un changement dans l’île. Les anciens du village aussi. Il y a une recrudescence des événements singuliers dont Dutch Island a toujours été le théatre. Des apparitions de silhouettes à l’orée des bois. Une densification anormale de la végétation. Quelque chose est à l’œuvre. L’orage se prépare. A la faveur d’un transfert, Moloch s’échappe grâce à l’aide de complices. Dans sa tête résonne l’écho d’un cri : vengeance. Mais reste à savoir s’il en sera le bras armé ou la victime…

Ce que j'en pense
John Connolly est un auteur dont je croisais souvent les romans mais que je n’avais jamais lu, pas vraiment tentée pour je ne sais quelle raison. Mais après avoir lu deux chroniques du dernier paru en France, Les âmes perdues de Dutch Island, je me suis lancée. Mon impression est mitigée : disons que je trouve que c’est un très bon roman mais que ce n’est pas tout à fait ce que j’aime. Pourquoi? 
John Connolly mêle à ce qui relève du noir un ingrédient fantastique. C’est parfaitement maîtrisé, tout à fait saisissant et ambigu, on flirte même avec un côté horrifique, mais cela ne me convient pas, tout simplement parce que du coup, très vite, on voit comment va se dénouer l’intrigue. Pas dans le détail mais dans les grandes lignes, et il y a peu de surprise à la fin. Non que je tienne absolument à être surprise, mais tout de même… D’un mauvais romancier j’aurais dit que le fantastique relève de la facilité et permet de ne pas trop se casser la tête; ce n’est pas le cas ici, mais cela ne me séduit pas. Cet élément mis à part, le tout est parfaitement maîtrisé, cela ne fait aucun doute. 
Je n’ai pas trop aimé le prologue non plus, et je crois bien que j’aurais pu me décourager sans les billets élogieux lus çà et . Après quoi John Connolly campe un grand nombre de personnages, sans que l’on saisisse d’abord le lien entre eux. Cela vient vite, mais ce n’est pas évident tout de suite. 
Voilà pour les réserves et pour ce qui m’a dans un premier temps décontenancée. 
En revanche, j’ai été conquise par les personnages d’emblée. Tous sont campés avec un talent fou, existent en quelques lignes, aucun n’est une caricature, même dans le groupe des affreux. Mention spéciale à Marianne, saisissante d’opacité, de profondeur, et évidemment au Géant Joe Dupree, un des plus beaux personnages de noir croisé ces derniers temps. Tous les deux portent une douleur, une difficulté à vivre éblouissantes, bouleversantes… Et j’ai beaucoup aimé la jeune recrue qui finit par arriver sur l’île et assister aux événements tragiques: elle occupe peu de pages et pourtant, elle est là, parfaitement incarnée, si je puis dire. 
Même si l’intrigue ne m’a pas totalement convaincue, je dois dire que la construction est impeccable. John Connolly est très à l’aise avec les retours en arrière, qui ne parasitent pas le récit mais l’éclairent, et le crescendo est parfait, aboutissant à un final digne des meilleurs thrillers. 
Et puis il y a la force du propos sur la mort, la perte, l’absence, dans une île foncièrement marquée par la violence et le sang. C’est très beau. 
Donc ne vous y trompez pas : je ne suis pas totalement séduite, mais c’est de la très belle ouvrage, et je vous conseille le roman. 


John Connolly, Les âmes perdues de Dutch Island (Bad Men), Presses de la Cité, 2014. Traduit de l’anglais (Irlande) par Santiago Artozqui. Publication originale : 2004. Disponible en ebook. 

dimanche 8 juin 2014

Dernière récolte d'Attica Locke


J’étais complètement passée à côté de Marée noire, premier roman traduit en français d’Attica Locke, mais celui-ci m’a tapé dans l’oeil sur l’étal du libraire. Il a tenu ses promesses.
Si je devais émettre une toute petite réserve sur Dernière récolte, je dirais que l’assassin était si inattendu que c’en est moins surprenant, c’est un vieux truc du roman policier, l’auteur attire l’attention sur quelques suspects intéressants et puis, non, l’assassin est celui qu’on n’attendait pas. Cependant, ce n’est qu’une petite réserve car nous sommes dans un roman noir, et l’essentiel est ailleurs. 
Alors même qu’on sait qu’un meurtre a eu lieu à Belle Vie, le début prend son temps: il faut apprendre à connaître Caren (j’y reviens dans un instant) mais surtout à connaître Belle Vie, ce domaine si complexe, bâti sur le sang et les larmes des esclaves, passé aux mains d’une riche famille après l’Emancipation sans tourner le dos au sang… Mais chut! On voit, on sent, on goûte cette terre du Sud, sa végétation, ses couleurs, ses orages, sa cuisine, comme on peut les ressentir chez James Lee Burke, et on perçoit les fantômes qui l’habitent. Ce n’est pas le moindre des talents d’Attica Locke de nous faire percevoir tout cela.
Assez classiquement mais avec brio, Attica Locke entremêle ce passé douloureux et le présent, et je devrais même dire plusieurs strates du passé: celui de la période de l’esclavage, celui de la période complexe de l’Emancipation, et un passé familial plus proche, l’enfance de Caren et des frères Clancy. Le passé est l’une des grandes questions de ce roman : Belle Vie est un domaine qui accueille les touristes et des événements festifs, notamment des mariages. Il entretient l’illusion d’un passé remémoré quand il s’en accommode pour livrer une certaine vision de l’Histoire, sans aspérités, qui gomme la douleur, nie l’horreur fondatrice de la plantation. 
Le talent de l’auteure pour camper des personnages solides et justes est impressionnant. Caren n’est pas très sympathique au premier abord, mais elle est follement intéressante et au final, bouleversante. Les deux frères Clancy incarnent cette morgue inconsciente et décomplexée de ceux qui sont bien nés et qui sont persuadés d’être magnanimes. Mais ce ne sont pas des caricatures de salauds: tout abjects qu’ils soient, ils sont aussi des créatures enchaînées à leur passé, des prisonniers de la légende familiale, acharnés à se tisser un destin en propre. Cela ne les rend pas meilleurs, mais plus intéressants. Le passé, toujours le passé, et la volonté pour l’un des frères Clancy de s’en échapper, tout comme Caren, évidemment pour des raisons et par des moyens diamétralement opposés. 
Et puis Attica Locke n’oublie pas le présent, car il ne s’agit pas d’un mémorial… C’est de la Louisiane d’aujourd’hui qu’elle nous parle, du rapport à la mémoire mais aussi de l’Amérique et du monde tels qu’ils vont. Il y a Donovan, suspect idéal, noir, traînant un casier, que les Clancy feignent d’aider pour mieux l’enfoncer et mener à bien leurs petites affaires; et le système judiciaire leur emboîte le pas, sans sourciller. Il y a aussi cette victime, une Latino, esclave des temps modernes, exploitée et frappée par son patron blanc, mais aussi ostracisée par les Noirs de Louisiane, parce que rien n’est simple… Les perdants sont toujours les mêmes: les Noirs, les Latinos, les pauvres… 
Le tout est mené de main de maître, avec une progressive montée en puissance, un crescendo dans la tension narrative parfaitement maîtrisé, soutenu par une écriture claire, limpide, jamais pesamment didactique ni moralisatrice. Attica Locke ne révolutionne pas le roman noir, mais elle l’investit avec un immense talent. J’ai le sentiment d’avoir découvert une auteure à suivre, et c’est déjà énorme… 
On peut lire une interview intéressante de l’auteure sur le site de ventes de livres numériques Feedbooks, une interview menée par l’excellent Bernard Strainchamps : c’est ici!

Et aussi l'avis de Jean-Marc Laherrère. 


Attica Locke, Dernière récolte (The Cutting Season), Gallimard/Série Noire, 2014. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Clément Baude. Publication originale : 2012. Disponible en ebook.

lundi 2 juin 2014

Welcome June


Quelques lectures jeunesse ce mois-ci, nombre d’entre elles étant très dispensables à mon sens… 

 




J’en retiendrai Etiquette & Espionnage de Gail Carriger, mais aussi, un cran en-dessous, Graffiti Moon, de Cath Crowley, romance plaisante et pas trop cucul. On oubliera rapidement en revanche Beautiful Disaster de Ann McGuire (romance new adult) et Dualed de Elsie Chapman (dystopie), qui plaisent aux jeunes lecteurs (et aux moins jeunes, le premier squatte les palmarès de ventes). Question de goût personnel. 
Côté lectures adultes, peu de choses: j’ai clos dans un mélange de plaisir et de tristesse Le protectorat de l’ombrelle de Gail Carriger, avec Sans âge, grand bonheur de lecture… Et j’ai découvert la première aventure de Hap & Leonard dans Les mécanos de Vénus, en-dessous des aventures suivantes mais tout de même bien plaisant. Joe Lansdale est décidément un de mes auteurs de polar favoris. 

Le mois de mai fut très BD, avec de belles lectures, la grande émotion étant Un thé pour Yumiko, à la fois sur le plan graphique et narratif. 


En tout, dix lectures, dont quatre albums de bande dessinée, ce qui n’est pas beaucoup. Mon rythme de lecture marque le pas, surtout ces derniers jours…