jeudi 21 novembre 2013

Ava préfère les fantômes de Maïté Bernard


Présentation
Ava doit passer quelques temps sur l’île de Jersey, chez son oncle, qui lui réserve un accueil un peu froid, occupé qu’il est à préparer une exposition importante : en effet, un trésor viking a été découvert sur l’île par une jeune femme. Mais alors qu’Ava commence à prendre ses repères à Jersey, la jeune femme en question, Billie, meurt, puis réapparaît aux yeux de la seule Ava, qui depuis ses trois ans possède un don insolite, celui de voir les fantômes. C’est pour l’adolescente le début d’une enquête passionnante et d’une série de rencontres avec des fantômes étonnants.

Mon avis
C’est après avoir lu Fantômes que j’ai lu Ava préfère les fantômes, premier opus d’une série pour la jeunesse écrite par Maïté Bernard : ma lecture a donc quelques mois, presque un an en fait. Au départ, je voulais attendre d’avoir lu le deuxième volume, dont la sortie était alors imminente, mais les mois ont passé, je suis passée à autre chose et ma lecture est restée sans billet. Aujourd’hui, il y a trois volumes et j’ai la ferme intention de ne pas tarder à lire Ava préfère se battre et La mort préfère Ava, puisque mes yeux me permettent enfin de revenir à des livres papier, en tout cas en grand format : il est donc temps que je vous parle d’Ava préfère les fantômes.
L’argument laisse entrevoir clairement le mélange de récit d’énigme et de fantastique qui caractérise ce roman. L’île de Jersey est un décor parfait pour ce mélange des genres : avec ses falaises, ses landes, son passé et ses demeures vénérables, Jersey se prête aux atmosphères fantastiques ; mais en tant qu’île anglo-normande, elle suggère aussi à merveille les ambiances so british des romans d’Agatha Christie, avec un côté « meurtre en chambre close » sur l’île que j’ai beaucoup aimé.
On pourrait craindre une espèce de Ghost Whisperer made in France (la série télévisée m’est assez sympathique, d’ailleurs) mais on est loin de l’hystérie de la série de John Gray, Dieu merci. Ava voit des fantômes, ce n’est pas chose facile à assumer mais il y a quelque chose d’apaisé dans ses rencontres avec les spectres, aussi inquiétants soient-ils parfois. Fantômes fraîchement passés de vie à trépas ou surgis du fond des âges, ils m’ont été sympathiques d’emblée, car ce sont plutôt les vivants qui sont dangereux ou tout simplement négligents.
J’ai donc beaucoup aimé l’harmonie entre fantastique et récit d’énigme, d’autant que le fantastique n’est jamais là pour pallier les manques de l’énigme : non, l’intrigue est bel et bien celle d’un récit policier, et le fantastique est un élément supplémentaire.
Ava est un bien joli personnage : jeune adolescente intelligente, solitaire, elle va peu à peu apprivoiser son don, ce qui confère à ce premier volume une dimension de roman d’apprentissage très réussie. J’ai très envie de la retrouver dans les volumes suivants, c’est une héroïne comme je les aime, loin des stéréotypes, indépendante.
J’ai passé un excellent moment avec Ava préfère les fantômes, et si vous goûtez les polars jeunesse menés par des héroïnes fines, intelligentes et malignes, vous aimerez Ava.

Pour qui ?
Je pense que les lecteurs de 11-12 ans peuvent lire Ava préfère les fantômes sans problème, puis il n’y a plus de limite d’âge !

Le mot de la fin
To be continued.


Maïté Bernard, Ava préfère les fantômes, Syros, 2012. Lu en e-book.

lundi 18 novembre 2013

Les feuilles mortes de Thomas H. Cook


Présentation (quatrième de couverture)
Eric Moore a toutes les raisons apparentes d'être heureux : propriétaire prospère d'un magasin de photos et d'une jolie maison dans une petite ville sans problème de la côte Est, il mène une vie de famille épanouie auprès de sa femme Meredith et de son fils Keith, un adolescent de quinze ans. Cet équilibre parfait va pourtant voler en éclats à jamais… Un soir comme les autres, ses voisins demandent à Keith de garder Amy, leur fille de huit ans. Au petit matin, Amy est introuvable. Très vite, l'attention de la police se porte sur Keith et ce dernier, pataud et mal dans sa peau, se défend maladroitement. Du jour au lendemain, Eric devient l'un de ces parents qu'il a vus, à la télévision, proclamer leur foi dans l'innocence de leur enfant. Alors que l'enquête de la police se recentre autour de Keith, Eric doit lui trouver un avocat et le protéger contre les soupçons croissants de la communauté. Mais est-il tout à fait sûr de l'innocence de son fils ?

Mon avis
Lorsque j’ai lu Le bon père, de Noah Hawley, Brize a attiré mon attention sur Les feuilles mortes, de Thomas H. Cook, chroniqué par Jean-Marc Laherrère, lequel m’a à son tour encouragée à le lire. C’est chose faite, et ma foi, je suis contente d’avoir suivi cette suggestion ! J’ai dévoré ce court roman, embarquée comme je le suis trop rarement ces derniers temps.
Dès le début nous savons que c’est un roman noir : aucune issue heureuse n’est à espérer, et pourtant Thomas H. Cook réussit à surprendre. J’avoue que j’avais pensé juste concernant un élément capital de l’histoire, car au détour d’une phrase, l’auteur donne un indice ; mais cela n’a aucune importance, d’abord parce que j’ai pensé à cela comme j’ai pu penser à d’autres choses, ensuite parce que dans le noir, je me fiche de connaître le dénouement (ce qui n’était de toute façon pas le cas, pas dans le détail). Et puis il y a un retournement de taille, un très beau retournement, qui n’enlève rien à la tragédie.
Surtout, Thomas H. Cook développe, comme le fait Noah Hawley dans Le bon père, un point de vue original, qui n’est pas celui de l’enquêteur, ni de la victime, ni du coupable. Tout est affaire de regard, et celui du père est d’une folle complexité, en même temps qu’il est une sorte d’accélérateur d’émotions extraordinaire pour le lecteur. Il n’y a rien de manichéen, rien de mièvre, Thomas H. Cook ne joue jamais avec le pathos, qui serait pourtant si facile sur un tel sujet. Le regard est sans concession quoique plein d’émotion.
La noirceur du regard concerne à la fois le comportement d’une petite communauté secouée par la disparition d’une enfant et la famille. Tel est le grand sujet des Feuilles mortes : les photos de famille qui affichent un bonheur parfait mentent. Secrets, mensonges, faux-semblants, soupçons, voilà ce qui anime les êtres et ravage l’amour qu’ils se portent. Les autres ne sont pas ceux que l’on croit et nos proches ne sont pas ce que l’on voudrait qu’ils soient. On sort de cette lecture secoué, bouleversé, et comme avec tout grand roman, la tête pleine de questions. Dire que c’est un chef-d’œuvre du roman noir serait peut-être exagéré mais assurément, c’est un magnifique roman. Merci à Brize et à Jean-Marc Laherrère de m’avoir donné envie de lire ce livre : je lirai sans aucun doute d’autres romans de Thomas H. Cook.

Le mot de la fin
Un somptueux « misérable petit tas de secrets ».


Thomas H. Cook, Les feuilles mortes (Red Leaves), Gallimard/Série noire, 2008. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laetitia Devaux. Réédité en Folio Policier. Lu en e-book. Publication originale : Harcourt, 2005.

samedi 16 novembre 2013

C'est toi ma maman? d'Alison Bechdel


Présentation
Après avoir examiné la relation fondatrice à son père dans Fun Home, Alison Bechdel consacre ce nouveau roman graphique à sa mère et à leur relation ambivalente. Mélomane, grande lectrice, actrice amateure, celle-ci a largement déterminé les aspirations de sa fille ; mais elle a aussi cessé de lui manifester physiquement son affection alors qu’elle n’était qu’une enfant, générant un certain nombre d’angoisses et d’interrogations qui affectent l’adulte qu’est devenue Alison Bechdel.

Mon avis
J’avais lu et adoré Fun Home à sa sortie, en 2006, c’est vraiment un grand souvenir de lecture pour moi. Je me suis donc précipitée sur C’est toi ma maman ? dès que mes yeux me l’ont permis (pas encore facile de lire de la BD, cela dépend des formats, du lettrage). Pour commencer par mes réserves, qui ne sont peut-être liées qu’à moi, à mes humeurs, à mes attentes du moment, j’ai été moins convaincue, moins enthousiaste. La dimension psychanalytique (très américaine) m’a un peu agacée par moments, je l’ai trouvée envahissante, un peu verbeuse, et je n’avais pas ce souvenir dans Fun Home. J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit peut-être que de mon ressenti : j’ai pu apprécier cet aspect dans le précédent roman graphique et le trouver pesant cette fois-ci ; par ailleurs, il y avait à l’époque la découverte et l’effet de surprise, alors que cette fois-ci mes attentes étaient grandes. En tout cas, C’est toi ma maman ? est à déconseiller aux lecteurs qui exècrent la psychanalyse ou qui trouvent facilement les auteurs nombrilistes… Enfin, je ne sais pas si c’est une œuvre aisément accessible à ceux qui n’ont pas lu Fun Home : outre que la figure du père est fréquemment évoquée mais avec beaucoup d’implicite, il est beaucoup question de la parution de ce roman graphique et de l’impact qu’il a eu sur Alison Bechdel et sur sa relation avec sa mère.
Voilà pour mes réserves : je n’ai pas été emportée comme je l’avais été pour Fun Home.
Pour le reste, c’est un roman graphique comme je les aime. J’en aime le dessin clair, la fluidité narrative en dépit d’une construction assez complexe, la cohérence des chapitres (au nombre de sept). La relation avec sa mère est compliquée et comme le rapport au père, elle est source de non-dits, de silences, de blessures. On comprend qu’évidemment, la vie de cette mère a été affectée par le secret du père, mais on aperçoit également la trajectoire d’une femme, ses aspirations, ses renoncements, sa lourde vie familiale. C’est toi ma maman ? dégage à mon sens moins d’émotion que Fun Home, néanmoins je l’ai refermé avec le sentiment d’avoir lu une œuvre forte et maîtrisée, hantée par Virginia Woolf et Donald Winnicott.

Remarque juste pour râler : Dieu que la couverture de l’édition française est moche ! Ce rose et ce vert, beurk ! Et Denoël Graphic réédite dans la foulée Fun Home (ce qui est une excellente chose) mais avec une couverture moche aussi, alors que celle de 2006 était superbe. Et je le prouve :



Pour qui ?
Pour tous ceux qui avaient aimé Fun Home.

Le mot de la fin
Introspectif.


Alison Bechdel, C’est toi ma maman ? Un drame comique (Are you my mother ? A comic drama), Denoël Graphic, 2013. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Lili Sztajn et Corinne Julve. Publication originale : Houghton Mifflin Harcourt, 2012.

mercredi 13 novembre 2013

Etrange suicide dans une Fiat rouge à faible kilométrage de L.C. Tyler


Présentation (éditeur)
On n'est jamais mieux servi que par soi-même. Lorsque son ex-femme, Géraldine, disparaît, Ethelred décide de mettre à profit ses talents de détective pour la retrouver. Petit problème : les connaissances en criminalité d'Ethelred, écrivain professionnel, proviennent de romans policiers tout droit sortis de son imagination qui, depuis un moment, s'est, elle aussi, volatilisée. Quoi de mieux, pour retrouver l'inspiration, qu'une enquête grandeur nature ? De fausses pistes en révélations renversantes, la réalité dépasse de loin la fiction...

Mon avis
Ce fut une lecture plaisante, sans plus, un peu en dents de scie. Curieuse présentation, n’est-ce pas ? Je m’explique. Les premiers mots m’ont tout de suite plu, une forme d’humour british qui me séduit. Puis, pendant quelques chapitres, j’ai trouvé le roman sympathique mais un peu vain, un peu creux, et sans vraiment m’ennuyer, je n’étais pas captivée, et pour tout vous dire, j’ai pensé abandonner. Mais le roman est court, j’ai continué. Enfin, j’ai commencé à comprendre, pas tout, bien sûr, mais un certain nombre de choses, et j’ai eu envie de continuer pour vérifier mes hypothèses. Il me semble aussi que le rythme s’accélère dans le dernier tiers, je n’ai donc plus eu la tentation de passer à autre chose. Mes hypothèses se sont largement vérifiées, et curieusement, cela ne m’a pas déçue, cela m’a amusée.
Je vais donc essayer de reprendre de manière synthétique :
- l’intrigue est sympathique, quoique sans surprise, quand on y pense ; mais je pense que L.C. Tyler se plaît à jouer avec les codes du récit d’énigme, ce n’est pas naïveté de sa part. Il y a un ultime rebondissement, qui ne remet pas en cause ce qui précède mais ouvre plutôt sur une suite (c’est le premier volume d’une série, du moins je crois que c’est le premier volume, il faudrait vérifier avec les publications en anglais).
- j’ai plutôt bien aimé les personnages, Ethelred, faussement plan-plan, et Elsie, complètement barrée.
- le ton est plaisant, effectivement très britannique, avec une distance, une légéreté parfaitement maîtrisée. Je n’ai pas éclaté de rire mais souri de temps à autre.
- l’auteur joue intelligemment du côté « roman dans le roman », « roman sur le roman », puisque Ethelred est romancier. Ce n’est jamais artificiel, c’est bien utilisé, intégré à l’intrigue même.
Maintenant, si vous me demandez si je me jetterai sur la suite, je vous répondrai que non. Ce volume est clos, pas de cliffhanger insupportable, et je pense m’en tenir là. Ce fut néanmoins une lecture plaisante, divertissante.

Pour qui ?
Pour les amateurs de récit policier british un peu moderne et d’humour décalé mais pas trop.

Le mot de la fin
Sympathique, isn’t it ?


L.C. Tyler, Etrange suicide dans une Fiat rouge à faible kilométrage (The Herring Seller’s Apprentice), Sonatine, 2012. Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Julie Sibony. Publication originale : Macmillan New Writing, 2007. Réédition en poche : Pocket, 2013.